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Moment

UN TEXTE DE BENEDIKT SARTORIUS,
ÉCRIT LE 22 AVRIL 2020

À quoi ressemble un instant de liberté totale, où tout semble possible, où tout semble ouvert? Un instant dont le départ est annoncé, anticipé depuis belle lurette, dans lequel on aborde avec joie, légèreté et une espèce de naïveté superoptimiste ce qui s’ouvre devant soi? Nul besoin de chercher trop loin en arrière; la «Fanfare for effective freedom» du groupe Horse Lords ne date que de quelques mois. Elle nous absorbe, lourdement, presque péniblement, cette fanfare, avec une introduction pleines d’effets-warp. Elle se meut, semble-t-il, d’abord lourdement, laborieusement, gagne en aisance avec le temps. On dirait qu’elle poursuit un but bien précis, mais le morceau ne trace pas toujours droit devant, ce serait trop facile d’avancer toujours dans la même direction. Prendre le chemin le plus direct, qu’elle ennui! Au lieu de cela, elle grouille et elle rebondit, la «Fanfare for effective freedom», en entraînant auditrices et auditeurs avec elle. Qui pourrait bien savoir ce que ça produit pour la suite?

À présent, en avril 2020, ce morceau enthousiasmant prend un goût doux-amère. Parce que ça rappelle un temps avec plus de possibles, qui paraît bien plus lointain qu’un mois et demi. Un temps où l’on pouvait sortir pour danser, boire et rigoler dans les différents Kilbis de ce monde. On s’imagine aussi comment ça aurait pu être, début juin cette année 2020; Horse Lords seraient venus depuis Baltimore pour jouer au festival, comme il y a deux ans. Ils auraient démontré une nouvelle fois qu’un groupe de rock de composition presque classique est encore capable de servir une musique utopique à l’adresse des sociétés futures. Sans les oripaux bullshités des hippies-white-saviors.

Que reste-t-il aujourd’hui, alors qu’aucun concert ne semble envisageable dans les temps à venir, alors qu’un tas de lieux adorés sont en difficultés et menacés de disparition? Aujourd’hui, personne ne peut vraiment dire ce qui subsistera «après».

Ce qui reste possible: errer dans les rues fantômes qui semblent comme grises sans l’agitation quotidienne habituelle. S’isoler dans son appartement. Tout réorganiser. Aider le voisinage. Faire des dons, quand on en a les moyens. Ne pas perdre espoir.

Continuer à écrire sur la musique, comme je continue à pouvoir le faire en tant que surprivilégié, écrire contre la léthargie rampante, tenter d’éclairer des niches? En vrai, oui. Absolument. Renoncer n’est pas une option.

Mais pour le moment, il y a au moins un blocage, auquel je fais face. Plus que jamais, l’écoute de la musique me paraît subjective, intime. C’est bien égal, ce que j’aurais à dire à ce sujet, vainement snob. Bien sûr que je pourrais partager mes ressentis sur les réseaux sociaux, par le biais de playlists, sur mon propre site, ou avec ma propre «Popletter» ou même ici. Je pourrais détailler comment la musique nous aide. Et dire tout ce que j’entreprends pour qu’elle ne disparaisse pas, par exemple:

  • Contre la résignation: enclencher à tout hasard la radio, en particulier le samedi matin à 11:00. Être accueilli-e par Zakia Sewell sur la «lovely» NTS londonnienne. Elle mixe Spiritual Jazz, Folk, découvrir des nouveaux groupes tels Vula Viel. Oublier pour un temps des plateformes comme Spotify à la politique superficielle et parasite qui ne cesse de m’exaspérer.
  • Monter le volume — par exemple Protomartyr, Fuck Buttons, Róisín Murphy, DJ Rashad, Richard Dawson. Pourquoi nous noyer sous de nouveaux formats alors que tant choses existent déjà? J’ai rien demandé de plus, ça me met en rogne.
  • Acheter de la musique — sur des plateformes comme Bandcamp, auprès de boutiques de disques ou d’autres canaux, qui paient les artistes. Car la musique a aussi une valeur monétaire, les musiciens et musiciennes méritent un salaire décent.
  • Faire des dons pour des clubs et salles de concerts, dans lesquels j’aime aller — en expérant que ça puisse continuer un jour
  • Ce qui ne fonctionne pas avec moi, même si j’aimerais bien: Stream the pain et les soucis away avec des concerts confinés, parce que le live ne remplace pas l’expérience IRL. Et encore moins l’énergie d’un club un soir de concert.

Bon, ces lignes apportent-elles autre chose qu’un discours irréfléchi et geignard? Est-ce que ça intéresse quelqu’un.e?

Certes: Nous devons saisir ce moment pour parler de nouvelles formes et de nouveaux format dans la sphère musicale, par exemple revoir les concepts des festivals, qui puissent être durables, reconceptualiser des droits d’auteur-ices plus justes et solidaires que ceux en vigueur jusqu’à présent. Il pourrait émerger une meilleure prise en compte, plus respectueuse de l’écoute musicale, une consommation plus consciente, peut-être, grâce à de nouvelles plateformes qui resteraient encore à créer, et qui permettent de rémunérer les musicien-nes correctement. Discutons aussi, de même que les organisateur-ices du festival polonais Unsound qui aura lieu cet automne sous une forme encore ouverte, comment réinventer les performances musicales au delà des concerts habituels. Un nouveau pôle d’idées est ouvert. De tout ça, il est certain, nous récolterons quelques fruits.

Mais qu’on ne se leurre pas: la crise n’est pas une «chance». Mon ressenti à ce sujet est semblable à celui de Lorenzo Senni, qui est forcé de constater depuis chez lui l’annulation successive de tous ses plans futurs. Il écrit depuis Milan: «I hate to romanticise this quarantine.»

Il y a tout juste trois ans, Senni avait amorcé la composition du frénétique «Shape of Trance to Come» habité par une euphorie similaire à celle de la fanfare des Horse Lords. Ce n’est pas de la «simple» nostalgie que de redécouvrir aujourd’hui, l’horizon de possibilités qu’ouvre ce genre de morceau. Pas seulement dans l’écoute confinée, isolée, mais aussi live et en direct.

Traduit par Anne-Valérie Zuber

LINKS

Popletter «Listen Up!»
Website Benedikt Sartorius
Bandcamp Horse Lords
Zakia Sewell on NTS
Buy Music Club
Youtube Lorenzo Senni

4.5.6.   6.2020